Bruno Patino, auteur de “Tempête dans le bocal – La nouvelle civilisation du poisson rouge, est un observateur critique des médias à l’ère numérique et par ailleurs président d’Arte. Ce livre propose une analyse de l’influence – flagrante ou beaucoup plus obscure et (trop) insoupçonnée – qu’exercent les “plates-formes” sur nos comportements, nos réactions, que ce soit à un niveau individuel (privé, professionnel) ou collectif.
Le livre fourmille d’exemples, déconstruit et explique les motivations réelles des Facebook et consorts, braque un projecteur sans fard et sans merci sur nos acceptations, nos capitulations. Ou encore sur les choix, parfois cornéliens, que nous pourrions ou devrions poser pour nous défendre contre leurs visées et méthodes, pour imaginer un autre présent et un autre avenir.
Nous évoluons désormais dans “un océan de signes, de messages, de sites qui nous relient les uns aux autres sur une mer de données. Les poissons que nous sommes devenus ne choisissent plus leur eau. Partout, elle se trouble, à mesure que les courants favorisant l’émotion et propageant le faux se font plus nombreux et plus rapides.” Cette phrase de l’auteur, qui sert de présentation à son ouvrage, résume bien le contexte.
Dans ce livre, il est question de l’économie de l’attention, de l’influence des algorithmes et des modèles économiques des Maîtres des réseaux sociaux, des dérives dont ils sont à l’origine sur les plans relationnel, social, civique, voire politique et stratégique.
Bruno Patino propose plusieurs réactions ou défenses possibles mais en reconnaissant qu’il n’y a pas de recette-miracle et que tout remède aura son revers. Le dilemme est immense.
Il est par exemple beaucoup question, ces derniers temps, de “réguler” les plates-formes. Encore faudrait-il avoir une réelle emprise. Qui, à cet égard, a plus de chances d’arriver à un résultat? Les Etats (pris individuellement), les constructions trans-étatiques (telle que l’Europe), les individus eux-mêmes? Ou faut-il espérer une volonté – une vraie – d’auto-régulation de la part des plates-formes?
L’auteur pose notamment les questions fondamentales suivantes: “Comment réguler un marché où nous sommes tous prestataires sans nous réguler nous-mêmes? Comment régule-t-on le marché des passions?”
Face aux réseaux sociaux, à leurs visées et influences tentaculaires, comment doit agir, réagir, la presse? Le rapport de forces semble bien inégal et la force d’attraction quasi hypnotique. “La presse essaie, sans succès, de transformer les réseaux en un métamédia soumis aux mêmes règles qu’elle, en espérant transformer l’absorption en partenariat. C’est peine perdue”, avertit Bruno Patino.
Que faire? Jusqu’où la presse doit-elle, peut-elle utiliser les codes, les pratiques, les “ficelles” des plates-formes pour surnager, s’extirper?
Relayer sur les réseaux sociaux? S’ouvrir aux commentaires sur ses propres espaces, les modérer? Pas sûr du tout… “Malaxer les commentaires en accélérant ceux dont la vitalité peut engendre un revenu supérieur à celui produit par des messages moins émotionnels ne produit pas un espace démocratique qui repose sur des connaissances communes”, avertit (ou rappelle) l’auteur.
Un livre qui se lit quasi comme un thriller… Avec cette particularité que la ou les victimes sont connues tout comme le ou les coupables sont identifiés dès le départ. Reste à faire le tri et le choix des armes…
Regional-IT lui a consacré récemment un article qui en détaille et commente davantage le contenu.